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LES ENJEUX DE LA COMPOSITION AVEC LA LUMIÈRE

 

 

L’éclairage urbain revêt une importance particulière en climat nordique. En effet, l’obscurité prolongée durant la période hivernale et la faible luminosité entrainent nécessairement l’adaptation du mode de vie des habitants du Nord et de leur relation aux espaces publics collectifs. L’appropriation de ces lieux extérieurs passe donc immanquablement par leur mise en lumière afin de les rendre plus sécuritaires et invitants. Un lot d'impacts se font ressentir sur le plan de la composition urbaine, mais également de la psychologie humaine.

 

Selon Bertin (2008), l’éclairage est la reproduction artificielle de la lumière par l’homme. Cette dernière, considérée depuis toujours comme un moyen de se protéger contre les dangers inconnus de l’obscurité en plus de permettre l’activité humaine, a considérablement transformé le rapport des hommes à la vie nocturne depuis la démocratisation de l’espace public et l’arrivée de l’électricité au XIXe siècle.

LES FONCTIONS DE L'ÉCLAIRAGE ARTIFICIEL

 

Il existe deux approches principales classifiant l’éclairage nocturne selon Rankel (2014). La première, traditionnelle, utilise la lumière artificielle de manière fonctionnelle afin d’assurer la sécurité et la visibilité des espaces publics après la tombée de la nuit. La seconde, plus contemporaine en raison de la démocratisation de l’espace public après la tombée de la nuit pour des motifs culturels ou sociaux, permet la création d’identités visuelles purement décoratives. L’illumination est la clé architecturale pour la création d’une « seconde ville », permettant aux habitants de vivre de nouvelles expériences sensorielles et émotives.

 

Principalement localisé le long des interfaces de transports, sur les espaces publics et pacs, sur les bâtiments, religieux, commémoratifs ou institutionnels, l’éclairage artificiel accomplit huit principales fonctions en support aux activités nocturnes urbaines selon Masboungi (2003), Bertin (2008) et Rozman Cafta (2009), notamment pour:

 

1) des motifs de sécurisation de la vie urbaine de manière positive, l’éclairage assure aux usagers de voir et d’être vu, en plus de leur permettre d’utiliser le lieu sans danger en éliminant les zones d’ombres lugubres propices aux méfaits et aux agressions;

 

 

2) le balisage des espaces, de sorte que les usagers puissent s’orienter une fois la nuit venue sur les différents axes routiers ou grâce aux repères tout en créant de nouveaux liens dans la ville fragmentée, ce qui peut aider à rétablir certaines discontinuités physiques ou imagées et réduire l’impression d’enclavement;

 

 

 

3) la création d’ambiances lumineuses urbaines, semblables à celles que l’on retrouve dans les pièces d’une maison afin de transfigurer ce qui pourrait paraître banal et illustrer les qualités dissimulées;

4) remodeler, magnifier ou embellir un paysage urbain architectural, naturel ou patrimonial en le mettant en valeur grâce à la lumière, ce qui à contribuer dans plusieurs cas à catalyser et à accélérer les processus de transformation de la ville en gommant les aspérités et en inversant l’image pour la  plus positive et attrayante;

 

 

5) comme acteur de promotion visuelle de l’identité collective, fédérant ainsi une certaine attraction , principalement commerciale ou sociale, par l’entremise d’un éclairage original et dynamique des devantures;

 

 

 

6) comme support des interactions sociales offrant une atmosphère invitante ou en permettant la réappropriation d’un lieu après la tombée de la nuit, ce qui contribue à améliorer de manière significative la qualité de vie pendant les périodes d’obscurité (Rozman Cafta, 2009).

Images

par les auteurs (2015)

La ville illuminée

par les auteurs (2015)

Petit historique de la lumière dans la ville

 

Les premiers réseaux d’éclairage public informels apparaissent au Moyen Âge par l’entremise de l’installation de madones à l’initiative religieuse aux carrefours pour créer des points de repère nocturnes permettant aux voyageurs de mieux s’orienter. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour qu’un véritable réseau d’éclairage public alimenté au gaz apparaisse en Angleterre, puis à Paris quelques années plus tard.

 

1879 marque un tournant important dans l’histoire de l’éclairage nocturne: Watts invente l’ampoule à incandescence qui permet de créer une lumière artificielle beaucoup plus forte et lumineuse. L’éclairage artificiel prend alors une place fort importante dans les expositions universelles de Paris en 1881, de San José en 1885 et de Détroit en 1888. Plusieurs inventions farfelues ont comme objectif d’illuminer la ville depuis les cieux pour reproduire la lumière diurne.

 

Le tournant du XXe siècle est symbole d’une décadence lumineuse absolue : pour se défaire des peurs ancestrales reliées à l’obscurité et à ses dangers, la lumière purement fonctionnelle qui était utilisée pour la sécurité, la reconnaissance visuelle et la lisibilité de l’espace public est utilisée pour l’une des premières fois en tant qu’élément d’appropriation de la vie urbaine nocturne, comme éléments de loisirs et de plaisir. Au même moment, les premières illuminations commerciales apparaissent pour animer l’espace public.

 

Pendant la période des deux guerres mondiales, les couvre-feux et l’importance de limiter les sources lumineuses pour ne pas être repéré par les avions maintiennent une certaine forme d’obscurité dans les villes. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la volonté d’utiliser l’éclairage public pour embellir les monuments et le patrimoine se fait sentir. Il faut cependant attendre 1965 pour voir l’apparition des premiers plans lumières pour les cités en banlieue de Paris. Ils marquent l’importance de hiérarchiser et de différencier les systèmes et les typologies d’éclairage selon les types de rues. En 1980, le concept d’urbanisme lumière s’impose en tant que principe générateur de la ville nocturne. À partir de ce moment, plusieurs villes d’importance en Europe et en Scandinavie se dotent d’un plan lumière « pour promouvoir leur paysage urbaine, pour revaloriser l’identité nocturne des centres-ville historiques, pour animer les vieux quartiers et pour redonner à la ville son caractère original. » (Bertin,2008: p.24)

LES ENJEUX ET CONSIDÉRATIONS DE L'ÉCLAIRAGE URBAIN

 

La conception de l’éclairage artificiel des environnements urbains doit prendre en considération plusieurs éléments afin de limiter autant que possible les nuisances attribuées à la pollution lumineuse. La lumière doit être réfléchie et appliquée au projet comme un outil du projet urbain qui permet un lien entre différentes composantes. (Masboungi, 2003).

                              

1) L’offre lumineuse doit être consciencieusement calculée en fonction de l’importance relative des éléments mis en lumière à l’échelle de la ville selon leur hiérarchie et leur positionnement urbaine. Par conséquent, l’image générale de la cité doit être réfléchie pour assurer son intelligibilité et son imagibilité. Plusieurs auteurs, dont Rozman Cafta et Narboni, font référence au livre « The Image of the City » de Kevin Lynch pour cerner les éléments qui devraient être mis en valeur, à savoir les parcours, les limites, les quartiers, les noeuds et les monuments, en raison de leur grande reconnaissance sociale qui aident à structurer la carte mentale que les gens se font à partir de la ville nocturne et renforcent l’identité spatiale de nuit comme celle de jour.

 

2) La prise en compte de l’éclairage lunaire, de la réflexivité de la neige en hiver et de l’éclairage ambiant indirect devrait permettre un meilleur contrôle et une distribution plus uniforme de l’éclairage artificiel, servant ainsi comme complément aux sources existantes.

 

3) La planification des réseaux d’éclairage public doit prendre en considération les systèmes de circulation et l’influence lumineuse de ceux-ci. En effet, les systèmes d’éclairage public destinés aux automobiles sont prépondérants dans le paysage urbain et définissent une grande partie de la lumière nocturne émise. Rectilignes, ils prennent la route que leur impose la route en soulignant les parcours, les objets et les lieux de connexions.

 

4) L’acceptabilité de l’éclairage public est au centre de tout projet d’illumination nocturne. Bien qu’elle soit relativement démocratisée, la lumière peut être source d’inconfort notamment si elle est trop intense, mal dirigée, située sous le niveau des yeux ou éblouissante. Les surfaces verticales qui sont éclairées uniformément sont généralement jugées plus acceptables et confortables. Les lumières diffuses, indirectes ou non, permettent aussi un meilleur contraste entre les couleurs et les surfaces, augmentant ainsi leur acceptabilité.

5) Les critères esthétiques de la lumière artificielle, dont la couleur, la « température », l’intensité, le spectre, la concordance des apports lumineux, les courbes lumineuses et la diffusion, doivent être pris en considération lors de l’élaboration de projet d’éclairage public. Les couleurs blanches et jaunâtres sont normalement utilisées pour les espaces piétons et les rues. L’éclairage dit « décoratif » comprend un spectre beaucoup plus large de couleur pour accentuer les contrastes et créer des ambiances distinctes. L’intensité lumineuse est aussi un élément important pour marquer l’espace public : elle peut être modulée en fonction de la présence humaine ou selon les heures de la nuit. La lumière est porteuse de symboles forts qui peuvent contribuer à matérialiser la démarche d’un projet dans la ville en plus d’être un élément identitaire fort. Dans le domaine de l’éclairage, il n’existe pas de neutralité absolue et toute image génèrera une ambiance spécifique qui provoquera, volontairement ou non, une série d’émotions chez les observateurs. Les lumières colorées réfèrent à des impressions très différentes : les blancs orangés sembleront plus chaleureux pour certains alors que les lumières bleutées paraissent plus glaciales. Les lumières rougeâtres sont plus agressives, mais marquent aussi l’interdit et peuvent inciter à l’exubération. Les lumières vertes provoquent une sensation de calme. Le choix d’ambiance lumineuse est donc primordial et influence considérablement les intentions du projet. Les lumières en plongée, situées en hauteur, offrent un caractère plus dramatique aux espaces en accentuant les ombres portées. L’éclairage en contre plongée, encastré dans le sol par exemple, inverse les ombres solaires ce qui provoque une certaine angoisse ou une impression d’irréalisme. L’éclairage diffus, possédant un filtre ou un film opalescent, limite la production d’ombre portée tout en offrant un caractère intemporel. Certains le qualifient même de « triste ».

 

6) L’éclairage artificiel permet à plusieurs activités de se dérouler après la tombée de la nuit. Plusieurs études indiquent d’ailleurs que les surfaces ou espaces illuminés attirent les gens à se regrouper. L’optimisation de l’éclairage artificiel (réduction des zones d’ombres, meilleure couverture et unification des méthodes d’éclairage) permet donc d’augmenter le sentiment de sécurité et de réduire la criminalité de 15% (entrées par infraction, vandalisme, vol de véhicule, petite délinquance).

La rue Jouluvalot en 1988, Jyväskylä

 

La rue Kavelykatu, Jyväskylä

 

Bibliographie :

 

BERTIN, Sylvain. 2008. « Recherche qualitative des enjeux de la mise en lumière urbaine : création d’un modèle opératoire pour la conception des projets d’éclairage ». Mémoire en vue de l’obtention du grade de Maître ès Sciences Appliquées en aménagement, Montréal (Canada): Université de Montréal, 230p.

 

CHALLÉAT, Samuel et Dany Lapostolle. 2014. « (Ré) concilier éclairage urbain et environnement nocturne : les enjeux d’une controverse sociotechnique ». EDP Sciences « Natures Sciences Société » 2014/4, vol.22, p.317-328.

 

ELIASSON, Ingegerd (dir) et al. 2007. « Climate and behaviour in a Nordic City ». Landscape and Urban Planning, vol 82, p.72-84

 

MABOUNGI, Ariella. 2003. « Penser la ville par la lumière ». Les ateliers Projet Urbain. Paris (France): Éditions de la Vilette, 113p.

 

NARBONI, Roger. 1995. « La lumière urbaine : éclairer les espaces publics ». Collection technique de conception. Paris (France): Éditions Le Moniteur, 268p, ill.

 

PERSOLA Aki et Eila Landenperä. 2013. « Kankaan Alueen Aurinkokaavaselvitys ». Gaia Innovative Solutions for Sustainability. En document PDF. 37p.

 

RANKEL, Simon. 2014. « Future Lighting and the Appearance of Cities at Night : A Case Study ». Urbani Izziv, volume 25, no1, p.126-141.

 

ROZMAN Cafuta, Melita. 2009. « Public Lighting in the Communicative Urban Context ». Informatol, no 43, p.122-125.

 

ROZMAN Cafuta, Melita. 2014. « Visual Perception and Evaluation of Artificial Night Light in Urban Open Areas »Informatol, no 47, p.257-263

 

 

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